Oedipe et Heraklès dans un même espace de temps ?

Oedipe et Heraklès dans les Cycles d'Ouranos par ReginHart

Au début d’Herakliskos, le premier volume des Cycles d’Ouranos, deux grandes figures de la mythologie grecque se retrouvent face à face : Oedipe et Heraklès. Une facétie qui semble au départ ce qu’on appelle vulgairement de nos jours un « cross over », un concept propre à l’idée de franchises dont la valeur capitalistique augmente (parfois) quand on les fusionne le temps d’une aventure. Car dans les différents récits dans la mythologie grecque, les deux héros ne se rencontrent jamais. Et il faut dire que la perception des mythes grecs est d’autant plus entourée de mystères que la chronologie reste toujours vague et ne sert pas à relier les récits entre eux.

Pourtant, Oedipe et Heraklès partagent de nombreux points communs.

Le premier, c’est l’unité de lieu, la ville de Thèbes, Thébai dans les Cycles d’Ouranos. Souvent, le mythe d’Heraklès est introduit par les vulgarisateurs en précisant le refuge des parents du héros, dont le patriarche, Amphitryon, a été « purifié » par le régent de la ville, Kréon. Dans ce premier volume des Cycles d’Ouranos, les choses ne sont pas si simples, et d’ailleurs cette dimension « purificatrice » n’est pas évoquée. La question est davantage politique qu’autre chose, car le mythe d’Heraklès s’il est rattaché pour une part à Thèbes, sera plus tard associé à l’Argolide, région gouvernée par Eurysthée, cousin du héros et grand ordonnateur du dodécathlon. Mais l’enfance d’Heraklès, l’Herakliskos, se passe bien à Thèbes.

De là vient le second point commun qui n’est pas mineur : la présence d’un personnage emblématique et archétypale des mythes grecs : le régent, en la personne de Kréon. Le régent est symboliquement un intermédiaire, celui qui assume et assure une fonction par délégation ou pour subvenir à une absence. Et Kréon apparaît de manière importante à la fois dans le mythe d’Oedipe et dans celui d’Heraklès. Ce qui induit la concomitance des deux récits.

Il serait opportun et raisonnable de ne voir en Kréon que la question d’une homonymie, à la manière d’un Lycos qui lui même apparaît de nombreuses fois dans les récits en étant désigné comme autant de personnages au destin bien particulier. En résumé, il serait possible qu’il y ait plusieurs Kréon, et que les mythes ne mettent en scène, finalement, que des personnages distincts n’ayant aucun rapport l’un avec l’autre. Mais l’épisode de la guerre des Sept chefs inscrit alors le récit dans une certaine continuité temporelle qui élimine cette hypothèse.

La guerre des Sept chefs est rapportée, racontée, par différents auteurs ; elle est même mentionnée dans l’Iliade d’Homère. Pour faire court, ce conflit oppose les deux fils d’Oedipe, Etéocle et Polynice, qui s’affrontent pour le trône de Thèbes, et qui se conclut par leur mort réciproque. Mais aussi par la mort des chefs de guerre qui s’étaient associés à Polynice, dont les fils, dix ans plus tard et peu de temps avant la guerre contre Troie, vont à nouveau assiéger la ville et cette fois l’emporter en triomphant de Laodamas, fils d’Etéocle, cité à la page 15 du premier volume d’Herakliskos.

En résumé, une dizaine d’années à peine séparent les deux conflits, et dans l’Antigone de Sophocle, Kréon joue un rôle très actif en le désignant à nouveau comme régent de la ville. L’espace de temps qui sépare donc toutes ces récits se retrouvent paradoxalement très resserré ; dans les Cycles d’Ouranos, l’opportunité était alors trop belle pour ne pas en profiter. De ce paradoxe, deux légendes dans une même unité de temps et de lieu, naît une intrigue originale et à ma connaissance inédite. Oedipe et Heraklès peuvent ainsi coexister, le temps d’une intrigue sans pour cela faire preuve d’irrévérence envers des mythes qui sont toujours aussi inspirants et pleins de magie.

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