Alkmène, un protagoniste précieux

la page 12 des Cycles d'Ouranos version "ink"

Je viens d’achever l’encrage de la page 12 et j’avoue être content de ce que devient le personnage d’Alkmène dans les Cycles d’Ouranos. Quand j’ai entrepris ce projet, j’avais à coeur de bouleverser les clichés qui abondent dans la narration des mythes grecs. Alkmène est très souvent un personnage transparent, à peine effleuré, qui est victime d’une mystification qu’on retrouvera plus tard dans un autre mythe, celui d’Arthur. Quand j’ai commencé les dialogues, j’avais encore cette idée d’une femme qui donne naissance à un demi dieu ce qui en soi devrait, pourrait, être la source d’une grande fierté. Puis, en faisant des recherches sur Thèbes, je me suis rendu compte de l’incongruité de sa présence dans cette ville. De là m’est venu l’idée d’un exil, puis son lien avec Amphitryon a fini de m’inspirer une autre histoire pour cette femme qui est simplement la mère du plus célèbre et puissant héros grec.

Comme je le disais dans le post précédent, c’était à la base Amphitryon qui se rebellait et s’emportait, mais ça ne fonctionnait pas. Et j’avoue qu’avec le temps je suis tombé en pâmoison devant cette jeune femme qui entre, un peu malgré elle, en rébellion. Alors que la construction du personnage d’Heraklès se précisait peu à peu, je me suis mis à imaginer une femme qui en vient, peu à peu, à détester son fils. Sur cette page, un lecteur naïf ou obsédé par la question, très polémique en ce moment, du sexisme, pourrait penser que je dépeins le personnage féminin comme une hystérique face aux deux hommes impassibles qui lui font face. Mais dans ma vision, c’est tout à fait l’inverse. Elle subit, au contraire, la violence « passive » des deux hommes qui l’obligent à subir, c’est le mot, un certain destin. Alkmène ne peut pas, ne réussit pas, à l’accepter. Elle ne veut ni se sacrifier, ni s’oublier par rapport à son enfant qui de plus, représente à ses yeux une horrible manipulation. Mon récit aborde la thématique de l’eugénisme, et j’ai trouvé très intéressant de le traiter en mettant en exergue toute la pression sociale et culturelle que cela peut représenter dans une société qui par nature, souhaite une hiérarchie idéalement légitimée par la nature. Dans cette société, les « pyrrha » suscitent donc un intérêt puissant, de plus en plus perverti par le pouvoir. Dans les premières pages, Amphitryon, naïvement et peu conscient de l’horreur de ses propos, lui déclare donc qu’en tant que « pyrrha » elle est plus « précieuse » encore. Il y a une forme de violence dans ces mots qui n’est pas anodine de ma part. Pour lui, c’est un compliment sincère, car d’un point de vue masculin qui matérialise la femme dans une logique de capital. Pour elle, c’est une insulte qui la réduit à un rôle, à une fonction, et pire, à une destinée dont d’autres fixent les conditions.

Dans cette page, Alkmène n’est pas du tout hystérique, elle est légitimement en colère, elle résiste, comme elle le peut, face à deux hommes qui lui expliquent tranquillement que la raison est de leur coté. Oui et non. Sa liberté à elle, elle l’exprime par le rejet de ces plans, puis de manière plus dramatique, par le rejet de son propre fils. Malgré tout, il ne faut surtout pas juger le personnage d’Alkmène négativement, car si elle réagit ainsi, c’est par force de caractère et non par égocentrisme. Plus tard, elle regrettera sa réaction tout en l’assumant… un choix qui va contribuer fortement au profil psychologique particulier du héros principal du premier cycle, Heraklès.

La page 12, encrée et dialoguée des Cycles d'Ouranos, avec le personnage d'Alkmène, d'Amphitryon et d'Oedipe en toile de fond.

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