4° Télamon dans les Cycles d’Ouranos

Télamon dans les Cycles d'Ouranos de ReginHart

Le premier projet, que j’ai écrit il y a maintenant plus de 25 ans, se déroulait essentiellement durant la guerre de Troie. Lors de mes recherches, plus récentes, je me suis donc rendu compte du caractère quelque peu chimérique de Télamon à travers son fils, Ajax. En effet, celui-ci est souvent décrit comme fils de Télamon, au gros détail près que certains hellénistes se plaisent à préciser que le mot commun contenant la racine du nom renvoie à un simple baudrier. En bref et pour être clair, certains spécialistes se sont demandés si lors de la traduction voire la compréhension initiale des sources, on avait pas confondu une personne bien réelle et un simple accessoire. Je vais vous renvoyer à un incroyable, un très érudit article de Paul Girard sur le site (non moins merveilleux) persee.fr (https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1905_num_18_79_6273#). Dans cet article, Paul Girard digresse et analyse sur la dimension protéiforme du langage et des mots qui changent, qui évoluent, qui s’oublient et se réinventent au fil des cultures et des croyances qui s’en emparent. Ajax télamonien devient donc « Ajax le pilier », car Paul Girard établit à la fois l’aspect qualitatif du mot (de l’épithète pour être plus précis) qui renvoie une ancienne et première signification du mot « télamon » synonyme à celui d’atlas, soit le « pilier ».

En créant cette intrigue, avec la volonté de réinventer les mythes mais aussi de rester fidèle aux sources (exercice schizophrène), je me suis retrouvé dès le départ avec l’étrange personnage de Télamon, roi d’une île pour le moins particulière dans le paysage achéen (Salamine), et lié à tant de héros et personnalités célèbres qu’il en devenait à la fois inspirant et problématique. Déjà, et comme toujours avec les héros des mythes grecs, difficile d’appréhender le caractère et la psychologie du personnage. L’ambivalence morale, permanente de tous les héros reste la difficulté à appréhender dans un récit qui, selon ma volonté, se voulait moraliste. Je ne voulais pas conter les choses en montrant des êtres imparfaits se perdant dans leur hubris mais bien présenter des êtres en errance, souhaitant pour la plupart s’élever, se transcender, en tentant d’atteindre un idéal. De la création de l’Anadoxa, de ce pivot moral permanent sur lequel les protagonistes se positionnent tout au long de l’histoire. Certains y sont fidèles jusqu’à l’absurdité la plus romantique mais aussi la plus romanesque qui soit ; d’autres s’en échappent, s’y refusent, manifestant leur volonté puissante d’un égocentrisme assumé.

Télamon, à mes yeux, est devenu rapidement celui qui parmi les héros initiaux manifesterait le plus cette ambivalence et cette sorte de refus d’un déterminisme de ‘classe’. Je l’ai défini en contraste de son contexte à la fois social, familial, et de son parcours. Frère de Peleus (Pelée), le père d’Achille (Akhileus dans les Cycles d’Ouranos), fils d’Eaque (Eakos dans les CdO), il est déjà pris entre deux pôles pour le moins magnétiques et opposés. Si Eaque est caractérisé par sa moralité, sa probité, qui feront de lui un des trois juges de enfers, Pelée est davantage un personnage trouble au parcours caractérisé par l’ambivalence morale sur laquelle j’ai déjà abondamment glosé. Télamon devait être pour moi un héros tiraillé entre ces deux extrêmes, ces deux influences, avec la volonté puissante d’exister pour et par lui-même. Ensuite, je me suis énormément interrogé sur l’influence du bannissement prononcé par Eakos. Que Télamon devienne roi de Salamine, après plusieurs unions, n’était pas anodin. Cette île, comptoir phénicien, le faisait le rattacher à une culture et une vision du monde orientales avec une forte prégnance du commerce.

Je ne vais pas évoquer toutes les raisons et tous les menus détails qui ont peu à peu donner naissance au personnage que je mets en scène dans les CdO, mais à l’arrivée vous découvrirez un personnage souvent touchant, souvent irritant, un héros difficile à juger comme à condamner. Témoignant à la fois de la grandeur et de la bassesse, Télamon est sans nul doute le plus humain de mes personnages, car magnifique dans ses sacrifices comme méprisables dans ses petits calculs et ses petites digressions avec la morale. Mon Télamon est un être en errance perpétuelle, incapable finalement de pouvoir trouver la terre d’asile qui lui permettra de se poser un jour… c’est le prince-vagabond, celui qui porte en lui l’idée de la grandeur mais dont l’aspiration à la liberté (tant physique que morale) l’empêche de se plier à des contraintes éthiques.

Pour conclure, j’ai volontairement attifé mon Telamon avec une tenue d’origine phénicienne, pour encore contraster et départir avec le décorum de la Grèce de peplums. Caractérisé également par sa forte capacité d’adaptation, Télamon s’est complètement intégré dans les codes de la culture phénicienne dont il apprécie par ailleurs la finesse et la dualité. Il est l’incarnation, dans mon récit, du libertaire qui ne peut que devenir (par trop) libéral, magnifique par son individualisme assumé (qui le condamne à une forme de solitude) et pathétique dans son incapacité à savoir résister, trop souvent, à ses plus bas instincts.

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