La création d’une page de storyboard en mode « action »

De l'idée à l'esquisse du storyboard dans les Cycles d'Ouranos par ReginHart

J’ai attaqué la page 11 du storyboard du volume 2 d’HERAKLISKOS, et malgré mes dénégations et atermoiements, je rappelle que j’ai décidé d’écrire les dialogues en premier. En l’occurrence, pour cette phase de l’histoire, vu que c’est de l’action pure et dure, pas de dialogues, raison pour laquelle j’ai été un peu décontenancé d’avoir à réfléchir à la scénographie de la scène. Le terme scénographie est pour le coup très justifié ; il est question de rendre par l’image une suite d’actions, et l’air de rien, sur la page d’une BD, c’est un exercice qui nécessite un poil de réflexion.

Quand j’ai lancé ce projet, je ne savais pas trop ce que j’allais faire. J’aime les comics, j’aime les mangas, j’aime la BD franco-belge, en constatant les différences des médias dans la gestion de l’action. Beaucoup limitent les genres à des questions colorimétriques ou thématiques, alors qu’en réalité c’est bien la réification imprimée et le processus commercial qui les identifient principalement. Alors oui, il est possible de dire aussi que le manga c’est japonais, que la « BD » c’est franco-belge, ou que les comics c’est américain. Mais encore une fois, au-delà de ces petits drapeaux culturels, il y a bien un processus commercial et une idée/volonté de produire l’oeuvre culturelle. Pour la BD, il est entendu que le processus est plus long, héritage d’une certaine manière de considérer l’oeuvre artistique (pléonasme ?) dans un cycle long avec en fond la validation d’une certaine patience/tolérance du lecteur. Pour le manga et le comics, nous rentrons dans le dur d’une vision très pragmatique qui exige des résultats, des ventes, pour envisager la continuation. Dans cette logique résolument productiviste, le format est plus petit (moins cher à imprimer) et la colorisation a longtemps été sacrifiée (ah, les fameuses trames !). Ce qui découle aussi de la réduction du format, c’est le nombre de cases par pages. Tout ça pour dire que ce qui définit aussi les genres, c’est bien le nombre de cases par page.

Il y a bien entendu des œuvres qui dérogent à la coutume, comme le dernier volume en VF de Hunter X Hunter. Mais sérieusement, malgré toute la passion qui m’anime concernant ce manga, quelle horreur de lire certaines pages avec des bulles contenant des textes en typo 3, finissant par rendre la lecture particulièrement ardue. Pour revenir aux Cycles d’Ouranos, quand j’ai choisi de réaliser un premier volume de 48 pages, j’ai conservé l’idée d’un certain nombre de cases par page. Un choix qui m’a permis de faire tenir pas mal de choses que j’aurais dû logiquement dû sacrifier en optant pour moins de cases. Après, le travail par page est à mon sens tributaire du nombre de case, même si je peux comprendre que d’autres préfèrent opter pour un travail graphique plus poussé rendant l’économie plus relative. Personnellement, vu l’urgence qui m’anime et le boulot à faire, je reste résolument pragmatique en espérant ne pas non plus trop sacrifier à la qualité.

Concernant les scènes d’action, j’avoue en avoir été un peu chiche dans le premier volume, parce que je ne voulais pas réduire l’histoire à ça dès son commencement, et surtout parce que je ne voulais pas que ça tourne immédiatement à la bataille de (gros) kikis. Il y avait aussi l’idée d’économiser les moyens et maintenir une tension en ne balançant pas toute la sauce dès le début. C’est pour ça que le premier tour de force d’un Epigone devient surtout le prétexte pour montrer la coopération avec le Daïmon qui, planifiant la suite en dévoilant bien la futilité du combat, à la fin juste un processus pédagogique, informatif, initiatique, fluidifiant la narration à venir. Même idée pour Lailaps, la technique d’Amphitryon, qui devient le prétexte pour balancer un peu sur le Nyx, la fameuse matière vivante que contient le sang des épisémos, futurs Epigones.

Dans ce second volume, il est davantage question d’en montrer un peu plus et surtout en relevant un peu la jauge de danger. C’est pour cela que le premier combat « sérieux » de Télamon, contre une bande de pirates particulièrement remontés, est devenu de suite un véritable enjeu narratif. Contrairement au processus qui consiste à partir des dialogues pour élaborer la mise en scène, là c’est davantage la projection d’une action qu’il faut traduire. D’où un travail d’esquisses en amont, une sorte de storyboard du storyboard que j’ai trouvé intéressant de montrer, car une fois encore, ça fait partie du travail de création. Sur l’image, à gauche, c’est donc un des nombreux carnets que j’utilise pour prendre des notes, faire des esquisses rapides, planifier un agenda temporaire. Elle symbolise le travail mental, le magma d’idées de ce moment d’élaboration, quand la pensée remonte le fil d’un chemin qui doit la mener à une certaine destination. Et à droite, l’esquisse du storyboard sur l’espace contraint de la page, avant la précision des traits et l’affinement des structures. J’avoue que j’aime bien ce coté « brut » des choses, j’aime l’état de squelette de cette partie de la création graphique, le coté sauvage d’une idée et même du trait. C’est à la fois très brouillon et à la fois empreint de liberté.

L’air de rien, ce début de concrétisation m’impose de nouveaux enjeux ou de nouvelles tâches au choix, comme celle de m’appesantir sur les esquisses des pirates bousculés par Télamon. Au début, j’étais parti de faire un séide générique, avec une homogénéité des apparences… mais en dessinant ces esquisses, il m’est venu l’idée de personnaliser ces hommes de main, pour donner un peu de couleur à cette bande de pirates quelque peu bousculés par Télamon. L’espace aussi, je me suis demandé si je n’allais pas utiliser le cadre et le décor pour sortir l’affrontement du langage purement martial. Car dans le fond, un affrontement antropos/Epigone frôle toujours le comique et l’idée c’est surtout faire sentir à quel point ce type de combat reste une distraction pour un Epigone. Dans les Cycles d’Ouranos, l’idée n’est surtout pas de faire l’apologie de la force et encore moins de la domination. C’est bien la magnanimité, la grandeur, qu’un code comme l’Anadoxa essaie de promouvoir auprès de ses champions. Et surtout l’humanité, surtout chez un type comme Télamon, qui aura subi une certaine humiliation sociale voire systémique qu’il cherche malgré tout à canaliser pour ne pas retourner la frustration inévitable contre moins fort que lui.

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