De la question du scénario

J’ai fini la première version du storyboard fin d’année dernière, après un choix pour le coup généreux en enseignements. Ce choix, c’était faire les dialogues avant de penser à la mise en scène, à l’image. Un choix qui finalement s’est révélé peu judicieux et surtout, frustrant. Depuis des mois, voire des années, je m’interroge sur la question du scénario. Comment le construire, comment l’écrire, comment le structurer ? De plus, ce sont des questions dont la réponse change et évolue au fil du temps et des médiums. J’aime les films hollywoodiens avant les années 70, et j’ai acheté il y a quelques mois les 4 cavaliers de l’Apocalypse de Vincente Minelli, un cinéaste que j’adore… mais son cinéma est un spectacle impossible pour mes enfants par exemple, car le rythme est pour eux trop lent, les dialogues trop longs, les acteurs trop vieux, l’image trop statique, les couleurs trop flamboyantes, la mise en scène trop théâtrale. Après, il est facile de constater qu’on est sorti, enfin, de cette époque terrible où une ultradynamisation du récit cachait trop souvent (enfin échouait à cacher, plutôt) la pauvreté du propos. Ah… les comics des années 90, avec la fuite des talents en révolte, qui aura donné à de superbes bd mais creuses, creuses, si creuses… Donc pour mon projet, un premier projet, je voulais installer mes personnages en les positionnant sur deux axes, en interaction, soit le passé et le présent. Poser mon Heraklès, dès le départ, bien après ses travaux, c’était pour montrer le chemin parcouru tout en laissant le voile sur ce qui allait advenir. Car ce projet porte en soit deux thématiques qui sont le fondement de ma démarche : l’évolution d’un individu au fil du temps et le rapport au père. Dans mon histoire, beaucoup de détails sont volontaires, comme par exemple ce jeu, à deux pages d’intervalles, qui voient un père et son fils, dans la même case, avoir un geste similaire. L’épigénétique est vraiment un axe passionnant, et je voulais montrer qu’un enfant « mime » souvent ses parents pour se construire. Dans le billet d’avant, je parlais du rapport à la mère, avec Alkmène, car c’était la base, dans mon récit, que positionner mon héros dans un contexte social, familial, psychologique, culturel, pour en expliquer, plus tard, l’évolution.

J’ai donc commencé à écrire les dialogues, puis j’ai fait le storyboard… rapidement, ça coinçait. Bavard, trop littéraire… pour moi, trop de BD souffrent d’un travers symétrique, si j’ose dire, soit vouloir rivaliser avec la littérature (en devenant trop littéraire) soit rester dans une volontaire superficialité. Je me rappelle cette histoire où d’un coup un personnage « sauvage » (au sens que lui accorde Rousseau) expliquait à un autre encore moins éduqué que lui, ce qu’était le libre-arbitre. Pour moi c’est juste une incohérence magistrale, qui peut passer en considérant l’histoire comme de la BD… mais justement, il y avait dans ce passage la prétention à aller plus loin, dans des sphères presque philosophiques. Mon style est clair, coloré, simple, car j’aime les choses qui le sont. Je n’aime pas l’abondance de détails, juste pour le détails. Mais j’aime aussi et surtout la justesse du propos. Pour moi, l’exercice que je vise, c’est arriver à signifier beaucoup avec peu. Ne pas tomber dans l’explicatif sans compter, constamment, sur l’intelligence de mon lecteur. C’était un peu mes deux erreurs dans la première version, paradoxalement. J’en disais trop, clin d’oeil soutenu, et j’estimais que le lecteur serait finalement aussi initié que moi. Mais la raison était que je visais les standards de la BD en France, soit des albums d’une cinquantaine de pages. Et ça va vite 50 pages quand on a beaucoup à dire.

Une autre erreur, c’était être radin dans l’action. Trop reculer le moment de montrer ma créature monstrueuse, changeant l’attente en préliminaire fastidieux. J’ai donc tout repris, tout réécrit, tout recomposé, et j’ai fait le processus inverse, celui qui a toujours été le mien, et qui me va parfaitement. J’ai créé le storyboard, puis les dialogues. Et magie de ce choix, de nouvelles choses sont apparues, ont émergé de cette méthode. Choses qui feront l’objet d’un futur billet (marrant ce mot, il m’est venu et me rappelle Cyrano).

crédit image : Jean-Louis Zimmerman

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