6° Alkmène dans les Cycles d’Ouranos

Alkmène dans les Cycles d'Ouranos

Il est une évidence que beaucoup évitent de comprendre, c’est bien que toute oeuvre est « genrée », sachant que la perception du créateur influe notoirement sur l’histoire elle-même et la manière de la raconter. En bref, j’ai toujours eu conscience que mon sujet, mon inspiration, la mythologie grecque, était profondément marqués par une vision masculine (à moins qu’on ne découvre qu’Homère était une femme) et que moi-même je ne pouvais traiter de cette histoire que d’un point de vue teinté par ma propre masculinité. Ceci assumé, ceci digéré, j’ai toujours eu des valeurs féministes, ce qui m’a toujours motivé à créer des personnages forts du coté des femmes, notamment des caractères atypiques. Surtout ne pas réduire les personnages féminins en faire valoir des héros masculins, comme c’est malheureusement la règle dans la majorité des oeuvres occidentales, surtout les plus populaires.

Dans mon premier projet, le personnage de Circé, Kirkei dans cette seconde mouture, était une magicienne surpuissante ; d’autres personnages, je pense notamment à Pénélope, démontrait un caractère et un tempérament si particuliers qu’elle influençait grandement le destin d’un homme aussi compliqué qu’Ulysse (Odysseus dans les CdO). En réfléchissant à ce qu’allait devenir la mère d’Heraklès dans mon histoire, j’avais initialement le cliché de la matriarche parfaite, évidence en soi découlant de la stature prodigieuse de la sa progéniture. A héros exceptionnel, mère exceptionnelle ! Finalement, tandis que j’effectuais mes recherches sur les parents d’Heraklès ainsi que la situation géopolitique dessinée en filigrane dans les récits, une toute autre idée m’est venue à l’esprit.

Le processus alchimique a pris naissance quand j’ai compris le lien de parenté entre Amphitryon et Alkmène, qui sont respectivement oncle et nièce. Alkmène est la fille de la sœur d’Amphitryon, Anaxo. Ce fait a donc entraîné la révélation d’une certaine différence d’âge dans le couple ; une différence d’âge facilement entendable dans une société patriarcale, mais que le lien familial rend plus complexe. Je voulais proposer un discours moraliste, ce qui induisait des personnages possédant une réelle éthique et une morale très forte. Et le père humain du binôme inséminateur du récit originel (Heraklès étant à la fois le fils de Zeus et d’Amphitryon) devait être pour moi une figure à la fois complexe et inspirante pour justifier et clarifier la propre humanité de mon héros. L’intérêt d’Amphitryon pour Alkmène ne devenait plus moi autre chose que la poursuite d’un noble élan. Me restait à créer la psychologie d’Alkmène en rapport avec ce premier postulat.

Ce n’est pas ma propre expérience qui a donné naissance à ma version d’Alkmène car comme je l’ai dit à ma propre mère sur son lit de mort, elle aura été pour moi une mère parfaite. Si j’avais projeté sur mon Heraklès la tentation de ma propre expérience, ses deux parents auraient été bien différents, et avec beaucoup d’indépendance, j’ai donc pris la décision de casser, encore une fois, les archétypes. Il en découle une jeune femme qui se retrouve mère trop tôt, consciente de n’être considérée véritablement que comme la génitrice d’un demi-dieu. Il en découle une amertume, une colère larvée, qui grandit de jour en jour et qui l’empêche d’aimer cet enfant comme elle le devrait. Il serait facile de croire que j’en profite pour juger et condamner l’égocentrisme de mon Alkmène, mais au contraire, j’épouse au fil du récit son point de vue sans justement l’enfermer dans un moralisme facile. Oui, mon Alkmène est une victime, victime des hommes qui l’entourent et qui croient « bien » l’aimer, victime d’une société qui l’enferme dans un rôle et un statut. Oui, mon Alkmène se voit condamnée à un déterminisme social et affectif qui, comme elle le dit elle-même dans le premier volume, ne lui laisse comme option qu’une triste résignation.

Physiquement, je la voulais brune, mignonne mais pas trop. Je voulais mettre en scène une jeune femme joliment dotée par le sort et la vie, qui croit naturellement au bonheur tranquille qui lui est promis. Dans ce premier volume, je lui ai réservé quelques cases car je voulais nettement signifier l’antagonisme naissant entre son fils et elle. Je trouvais et je trouve toujours intéressant de faire d’un personnage aussi complexe qu’Heraklès un être mal aimé par sa propre mère, et supportant le trouble d’une paternité peu explicite.

Plus tard dans le récit, j’ai prévu à de nombreuses reprises des retrouvailles entre Heraklès et Alkmène, qui seront toujours des moments forts car des moments de tension et de tristesse. Car oui, il n’y a rien de plus triste que cette histoire ratée entre une mère et son fils, deux victimes d’une situation qu’ils n’ont jamais souhaitée. Détail important dans l’intrigue, Alkmène est une pyrrha, un statut particulier qui me permet d’expliciter clairement l’importance de la génétique, tant dans la structuration sociale que dans les enjeux profonds de l’intrigue. Le terme n’est pas anodin, car comme il sera bien plus tardivement dans l’intrigue explicité, pyrrha renvoie au mythe du déluge grec avec le couple Deucalion et Pyrrha, parents de la nouvelle humanité.

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